Illusion tragique by Gilda Piersanti

Illusion tragique by Gilda Piersanti

Auteur:Gilda Piersanti [Piersanti, Gilda]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Passage
Publié: 2017-10-05T00:00:00+00:00


8.

Je ne saurais expliquer pourquoi j’ai ressenti le besoin d’analyser les pulsions sexuelles de monsieur Ruper en installant une comparaison entre cette femme fragile qui avait élevé son fils seule, et qui ne s’en était pas trop mal sortie jusqu’au moment où sa vie avait atterri entre les mains de son voisin prédateur, et la poupée inanimée que celui-ci avait perdue et qu’il essayait de remplacer. « Ma vie d’avant ne me plaît plus », me disait monsieur Ruper depuis plusieurs nuits. Mais on ne laisse pas un personnage décider de son sort, même si on ne peut s’empêcher d’écouter sa voix, dès qu’il a pris assez de substance pour s’en créer une. Entre Mario et lui, la lutte était forcément inégale, le second dominant de toute évidence la situation, bien qu’il fasse trop de bruit à mon goût. Par moments, son assurance m’irritait, elle n’était pas sans me rappeler celle de mon défunt mari. Je n’avais pas toujours eu envers lui – envers monsieur Ruper, j’entends – la justesse d’appréciation qui me permettait d’agencer les intrigues en servant avant tout l’histoire que j’avais envie de raconter. Et puis, je ne pouvais nier que le destin du petit Mario me tenait à cœur : j’aimais sa manière de reculer sans se défendre et de se taire sans protester pour exploser enfin dans des accès de fureur désespérée qui ne faisaient jamais le poids. Cet enfant m’émouvait.

Épuisée par les longues heures passées à ma table de travail, je m’apprêtais à aller dans la cuisine pour me préparer un café lorsque j’entendis la clé tourner dans la serrure. Je sursautai et regardai l’heure, il était trop tôt pour que Magda soit déjà là. J’avais souvent peur, depuis la mort de Giorgio ; je me sentais vulnérable, je m’imaginais être la proie de quelque violence que je n’avais pas vue venir. Alors, peut-être plus encore qu’avant, je me réfugiais dans l’écriture. Je ne publiais pourtant pas davantage de livres : un roman tous les deux ans, c’était mon rythme. À chaque sortie d’un nouveau roman, je me sentais tenue de faire des efforts pour remplir mon devoir auprès de mes lecteurs, mais j’avais imposé une ligne de conduite à mon éditeur, qui l’avait acceptée d’autant plus volontiers qu’il la trouvait productive. Le succès se répétait sans surprise, surtout en Europe, aux États-Unis et au Canada ; je n’ai jamais vraiment plu au public latino-américain, j’en ignore les raisons. Ces dernières années, de nouveaux lecteurs s’étaient intéressés à moi en Asie, surtout en Corée du Sud et au Japon. Deux campagnes de promotion avaient déjà été organisées dans ces pays pour la parution du roman que j’étais en train d’écrire, mon éditeur avait cru bon de m’y préparer longtemps à l’avance pour se prémunir contre un éventuel refus de ma part. Depuis que sa meilleure attachée de presse, Fanny Baroni, la maîtresse de mon mari, croupissait en prison pour avoir tué son amant, il s’était encore plus rapproché de moi et gérait personnellement le lancement de mes livres.



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